Imagine Canada annonçait dernièrement, via le travail et l’article de Brian Emmett qui est un de leurs économistes, que d’ici 2026 le Canada serait en grave déficit social si les OBNL ne doublent pas leur capacité à amasser des fonds afin de répondre à la demande grandissante de la population en termes de services divers. En confirmant un chiffre et une date, cette communication vient officialiser l’opinion de plusieurs observateurs : la demande en services sociaux augmente beaucoup plus rapidement que la capacité des organismes caritatifs à amasser des fonds pour y répondre.
Selon les études et les statistiques sur le don en général, il n’y a rien qui indique que les canadiens (encore plus les québécois) ont tendance à donner plus qu’avant. Diverses raisons sont invoquées pour expliquer cette stagnation, raisons qui ont à voir avec la capacité de donner auxquelles j’ajouterais la performance des OBNL dans leurs efforts de collecte de fonds. Je n’ai pas de statistiques pour appuyer cette observation, mais on dirait qu’il y a une concentration du don vers un petit nombre d’organismes qui sont les plus populaires alors que la très grande majorité des OBNL est stable ou en décroissance.
Pour le secteur philanthropique, ce constat de déficit social que je partage entièrement pose des questions importantes :
- Quelle est la méthode utilisée pour calculer le déficit social? M. Emmett est économiste et j’imagine que pour annoncer qu’il faut doubler la collecte de fonds pour répondre à un besoin croissant, il a dû établir le coût des services à offrir. Je trouve cet exercice très porteur car il attribue une valeur économique assez précise aux services offerts par les OBNL. Il serait grandement bénéfique de partager cette méthode de calcul à tous et de l’appliquer davantage au travail de tous les OBNL. Tester et faire « approuver » la méthode de calcul de la valeur des services offerts ajouterait de la crédibilité à la théorie du déficit social.
- Est-ce pensable que le secteur philanthropique canadien double sa capacité d’amasser des fonds? Je pense que tous les responsables de financement des les OBNL canadiens répondraient non à cette question. L’assiette du don au Canada ne progresse pas vraiment depuis plusieurs années. Pourquoi grossirait-elle soudainement? Le déficit social est selon moi inévitable.
- Y aura-t-il du mouvement d’argent entre les organismes ciblés par les donateurs? Autrement dit, face à l’urgence des besoins sociaux non comblés, est-ce que certaines causes vont devenir plus importantes aux yeux des donateurs? L’exemple des dons aux aînés me vient en tête : ce segment de la population est proportionnellement négligé dans les dons, mais avec notre pyramide démographique inversée peut-être verrons-nous plus de dons pour financer des services qui leur sont offerts? Si oui, et partant du principe que l’assiette du don ne grandit pas ou peu, il y aura du mouvement d’argent entre les OBNL. Quels services seront coupés dans un contexte de manque encore plus grand de financement?
- Les OBNL seront-ils plus valorisés aux yeux de la population? J’ai toujours eu l’impression que le secteur philanthropique est sous-valorisé quand on considère son importance dans le maintien d’un tissus social acceptable. Plus l’état se désengage socialement et plus la contribution de ce secteur devient cruciale. Le déficit social pourrait aider à mieux évaluer l’importance des OBNL.
- Y aura-t-il une rationalisation parmi les OBNL? Dans une situation où il faut faire plus avec le même budget, il y aura peut-être des opportunités pour certains organismes de travailler davantage en collaboration, voire même d’unir leurs forces. Il y a sûrement des secteurs où plus d’un OBNL ont la même mission.
- Est-ce que l’état reprendra certaines responsabilités délaissées dernièrement? Le domaine de l’éducation est un bon exemple. On a vu les gouvernements couper ses dépenses dans l’éducation et cela a sûrement contribué à accélérer les services offerts dans ce domaine par divers OBNL qui font un excellent travail. Mais si les fonds manquent encore plus pour ces OBNL, qui reprendra le flambeau? Je pense que dans plusieurs cas les OBNL arrivent à offrir des services de meilleure qualité et à moindre coûts … il faudrait le reconnaître et leur donner plus de moyens. Ça ne coûtera pas moins cher si l’état offre les mêmes services.
Il y a sûrement d’autres questions importantes à se poser en vue du déficit social annoncé. En situation de crise, il y a toujours des opportunités de repenser les façons de faire. Je ne sais pas à quel les OBNL seront en mesure de faire preuve d’une plus grande cohésion pour mieux réaliser leurs missions respectives. Espérons au moins que la population en général mesurera mieux le rôle crucial joué par les organismes caritatifs et valorisera davantage les gens qui y travaillent…
Martin, je suis d’accord avec cette analyse. Et cela me préoccupe vraiment. Lorsqu’on est responsable d’une cause pas sexy comme offrir des services à des toxicomanes (site d’injection supervisé) en vue de réduire les méfaits ou comme offrir l’hébergement à des personnes vivant avec le VIH-sida, quelles sont les avenues de financement ou quelles sont les meilleures stratégies éprouvées pour tirer son épingle du jeu de la philanthropie? Merci de partager ton savoir et tes réflexions. Dominique Racine
Entièrement d’accord, Dominique. Qu’adviendra-t-il? Les causes les plus « cutes » tireront leur épingle du jeu mieux que les autres?
Ou bien les donateurs vont devenir des « smart shoppers » et choisir leurs appuis en fonction de critères d’urgence et d’impacts immédiats… difficile à prédire. Et peut-être que le déficit social va simplement se produire sans vagues… Comme je ne crois pas beaucoup à l’augmentation du don, je souhaite vraiment un mouvement vers le « mieux donner ». À suivre!
Oui, je crois… comme les causes portant sur les aînés et les soins à domicile ou les proches aidants ou la maladie d’Alzheimer ou encore les enfants et leur guérison aont plus sexy comme tu dis et touchent beaucoup les donateurs. Certainement pas les toxicos et les sidéens. De plus, même si la cause environnementale est très d’actualité et médiatisée, pas certaine que l’argent rentre si facilement… Par ailleurs, que dirais-tu si les organismes oeuvrant à vaincre l’itinérance et à sa solution de logements sociaux se mettaient ensemble pour aller chercher des dons et se redistribuaient avec équité? Serait-il possible, avantageux ou non? Comment approcher les milléniaux si individualistes? Comment ébranler encore les 60 ans et plus qui sont en sandwich entre aider leurs vieux parents et soutenir financièrement leurs adulescents de 21 à 30 ans encore à la maison? En tout cas, le monde change et la réalité aussi. Il faudrait un de ses 4 prendre un café ensemble pour discuter. Bonne nuit.
Je travaille pour une fondation collégiale (cégep) au Québec, effectivement, les coupures ont eu un effet direct sur nos étudiants et le personnel dans le collège qui fait que nous avons eu une explosion de demande d’aide financière de tout accabit…du jamais vu auparavent et surtout des étudiants démunis 😦 Merci pour cette lumière, espérant que la suite sera pour le mieux.
Nous offrons notre contribution à la cause!
[…] en services divers que l’état n’assure plus. Pour qu’on arrive à faire face au déficit social qui nous menace, il faudra que la culture philanthropique et le don de soi se développent beaucoup au Québec. Et […]